ÉNONCÉ DE POSITION NO. 2014-002 :
Clientèle orpheline, interdisciplinarité et organisation des soins et services de santé de première ligne – Comment arrêter l’hémorragie ?

Au cours des derniers jours, de nombreux éléments d’actualité ont rappelé l’exigence de procéder à une révision en profondeur de l’organisation du système public de santé au Québec. Le RAPIQ ne souhaite pas revenir sur la moralité questionnable des agissements du ministre de l’éducation (et médecin), mais plutôt proposer des pistes de solutions afin d’éviter que le discours actuel de précarité ne s’applique qu’aux infirmières du Québec sans jamais concerner la profession médicale. En d’autres mots, nous croyons que tous doivent faire leur part afin d’assurer la pérennité du système de santé. Si nous ne pouvons faire confiance aux actions individuelles, il faut alors questionner la façon dont la structure du système permet actuellement de justifier ces abus.

Sur cette question, notre positionnement cible deux problèmes. En premier lieu, Le RAPIQ* aimerait adresser les modalités de prise en charge de la clientèle dite « orpheline ». Sur ce point, nous souhaitons distinguer cette clientèle des usagers dits « vulnérables » présentant des problèmes de santé complexes, pour lesquels nous saluons l’effet bénéfique de certains incitatifs facilitant l’accès aux soins et services de santé leur étant destinés.

Nous éprouvons toutefois un malaise face à l’attribution d’incitatifs financiers visant l’attribution d’un médecin de famille aux patients « orphelins ». Nous croyons qu’un tel mode de rémunération est un symptôme préoccupant de la direction vers laquelle s’engage notre système de santé : n’est-ce pas la fonction d’un omnipraticien d’accueillir et de soigner ces usagers ? L’attribution de ces primes démontre qu’il existe non seulement une disponibilité des médecins de famille à accueillir de nouveaux usagers, mais aussi une profitabilité financière individuelle à maintenir l’engorgement du système de santé. Il s’agit d’un paradoxe alarmant qui ne peut être toléré plus longtemps. L’incitation financière ne peut réussir à pallier aux problèmes structurels de notre système public de santé. Ces primes ne servent qu’à panser les plaies d’un mode d’organisation devant être complètement repensé. Pendant ce temps, l’hémorragie continue.

Le RAPIQ rappelle l’importance de ne pas occulter du débat les alternatives à la prise en charge médicale unilatérale , soit la collaboration interdisciplinaire entre le médecin, l’infirmière et idéalement une équipe élargie composée de professionnels d’autres disciplines (infirmières auxiliaires, kinésiologues, psychologues, nutritionnistes, travailleurs sociaux, pour ne nommer qu’eux.) Bien que nous constations l’intégration progressive de ces professionnels au sein de groupes de médecine familiale, cela s’avère insuffisant. L’organisation hiérarchique des soins et des services de santé doit être repensée afin de permettre une réelle interdisciplinarité qui ne serait pas centrée sur les incitatifs financiers attribués au médecin, mais sur un partage interprofessionnel de la responsabilité médicale associée à la prise en charge de nouveaux usagers. À notre avis, ce changement d’approche aurait aussi l’avantage d’offrir un suivi plus individualisé de la clientèle dite « vulnérable » présentant des problématiques de santé complexes.

Le RAPIQ croit fermement que le gouvernement devrait légiférer sur ces pratiques interdisciplinaires, les rendant obligatoires, mais aussi encadrer la pratique des infirmières dans un tel milieu de pratique afin de viser une pleine utilisation de leurs habiletés et connaissances. Le rôle d’assistante auquel on confine trop souvent l’infirmière dans ces milieux n’aide en rien l’accès aux soins et aux services. Aussi, il est primordial de rappeler que le gouvernement actuel a promis de former un grand nombre d’infirmières praticiennes spécialisées en soins de première ligne (ci-après, IPS-PL), mais que l’arrimage avec les milieux de soins achoppe encore dans certaines régions. Or, les IPS-PL sont au cœur même de la «solution infirmière» à la clientèle orpheline, de par l’étendue de leur champs de pratique et considérant leur habileté à prendre en charge des clientèles diversifiées (0 à 100 ans) présentant une variété de problématiques de santé.

Pour conclure, le RAPIQ souhaite rappeler que six médecins assurant le rôle de directeurs régionaux de la santé publique ont démissionnés cette semaine, le gouvernement québécois ayant refusé à ces derniers la pratique de la médecine simultanément à leur rôle de direction. Le RAPIQ est attristé de voir que l’application de ces règles de gestion ne s’applique pas également à tous. Toutefois, nous croyons qu’un problème plus pressant doit être adressé. Nous estimons qu’il est anormal que la Loi sur les services de santé et les services sociaux (art. 372) considère l’exercice de la profession de médecin comme étant une condition essentielle à l’accès à un poste de directeur de la santé publique. Cela ne fait que contribuer au maintien d’un rapport divisant entre les médecins et les autres professionnels de la santé ainsi qu’à limiter la concrétisation d’une réelle interdisciplinarité.

Nous croyons que plusieurs infirmières ayant une formation en santé publique pourraient assumer cette fonction et participer à la prise de décision ainsi qu’à la construction de solutions nouvelles en santé publique. Dans l’état actuel des choses, une telle règle est injustifiable. Nous demandons conséquemment au ministre de la santé de veiller à ce que les directeurs de la santé publique soient engagés selon leur compétence et sans discrimination professionnelle.

L’interdisciplinarité implique que l’ensemble des professionnels de la santé, dont les infirmières, puissent participer activement à la réorganisation des soins et des services de santé au Québec. Cela est applicable à la fois à la pratique de première ligne ainsi qu’aux différentes instances décisionnelles gouvernementales chargées de veiller à la protection, au maintien et à l’amélioration du bien-être et de la santé de la population.

1 – Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q., c., S-­‐4.2., art. 372, al. 3

 

Document PDF Disponible : Rapiq_Enonce_2014-002